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Javier Bardem à Nantes : Digo gracias a la vida*

Une icône du grand écran en Pays de la Loire. La 29e édition du Festival du cinéma espagnol de Nantes a rendu hommage à l’acteur Javier Bardem. Le premier comédien espagnol à avoir remporté un Oscar, en 2008, a accepté de jouer le jeu de l’invité d’honneur, et de répondre, avec franchise et humour, à quelques questions. Extraits.

C’est fabuleux pour le public d’avoir accepté l’invitation du Festival du cinéma espagnol…

Et pourquoi pas ?! Je suis honoré et enchanté de la Master class que l’on a organisée pour moi à Nantes. Je suis un maître désormais (rires). En entrant dans le théâtre Graslin, j’étais subjugué par tout ce monde, cette ferveur, je me suis posé la question de savoir si les gens n’étaient pas venus pour Antonio Banderas ! J'ai passé la soirée à réfléchir à une phrase géniale pour justifier ma présence ici, mais je ne suis pas doué pour les discours.
 

Vous avez demandé à ce que la Master class se fasse avec la lumière sur le public. Vous avez besoin de voir votre public…

Oui, absolument, de le regarder droit dans les yeux. Et ce moment était très "caliente". Je me suis rendu compte que les gens ne venaient pas voir Ramón, l’homme paraplégique cloué au lit que je jouais dans "Mar Adentro", mais l’acteur que je suis. Pourtant, mes personnages sont bien plus intéressants que l’acteur que je représente. Je l’ai dit au public : « Qu’est-ce que vous devez vous ennuyer pour consacrer votre soirée à cette Master class ! » Je plaisante, c’était un moment formidable !
 

Quelle a été votre première impression en arrivant dans notre région ?

C’était un peu l’inconnu, je n’y avais jamais mis les pieds. Il paraît que Nantes est une ville vraiment agréable, en tous cas ses habitants le sont. Ils aiment la culture espagnole, et même si je me trouve un peu jeune pour recevoir l'hommage d'un festival de cinéma, je suis venu car j’ai beaucoup entendu parler du festival de Nantes. Beaucoup de mes amis m'en ont dit du bien, comme José Luis Rebordinos, le directeur du festival de San Sebastián. Je ne me suis pas trompé. J’ai rencontré ici un enthousiasme rare.
 

Quand on vous parle de la culture française et de son cinéma, quelle est l’image qui vous vient immédiatement à l’esprit ?

Jean-Paul Belmondo ! J'étais assis à côté de lui au Festival Lumière de Lyon, en 2018. Je l'ai découvert enfant dans "Le Magnifique", où il jouait l'espion Bob Saint-Clar. Je suis resté marqué par ce film, au point d’inventer moi-même des histoires autour du personnage. Le cinéma français, c’est bien sûr Chabrol, Blier… À Nantes, on m’a parlé hier de Jacques Demy, que je dois vraiment découvrir. Je connaissais par contre sa femme Agnès Varda, qui est partie il y a peu de temps… C’était une femme attachante, avec un grain de folie. Nous avons été dans le même jury, à Cannes, ça reste pour moi un souvenir drôle et décalé.
 

Quel regard portez-vous sur votre carrière, depuis vos débuts ?

Déjà, acteur n’est pas un métier que l’on fait, c’est une chose qui nous fait grandir, souffrir aussi. Quand j'ai commencé à 22 ans, j'étais anxieux, je ne pensais qu'à réussir, à être suffisamment bon pour pouvoir en vivre. Aujourd'hui, je suis plus dans le plaisir et la joie de créer. J’adore la transformation dans mes personnages : se glisser dans la peau d'Escobar, d’un personnage délirant dans "Skyfall" ou celui d’un méchant psychopathe dans "No Country for Old Men". Me transformer fait partie du plaisir, cela rend les personnages uniques. C'est notre corps qui joue, pas notre esprit. Ce métier ne fait aucun cadeau mais il te donne par contre beaucoup de joies.
 

Une anecdote marquante ?

Ma rencontre avec Robert De Niro ! J’avais passé toute une nuit à écrire un discours que je devais prononcer, en son hommage, à l’occasion d’une cérémonie de remises de récompenses cinématographiques. J’étais pétrifié mais content de mon texte. Il n’a pas aimé une ligne ! (rires). Il s’est levé, m’a salué et il est parti... Depuis, nous sommes amis. Je me souviens aussi du film "Jambon, Jambon" (ndlr : comédie dramatique espagnole de 1992, réalisée par Bigas Luna et interprétée par Javier Bardem) que j’avais regardé dans sa version sous-titrée à l’occasion d’un festival à l’étranger. Le doublage était tellement mal fait que j’ai ri tout le film ! Le doublage est un crime pour le cinéma en général, c’est un peu comme si on écoutait Bob Dylan avec une voix derrière qui chante en espagnol, ou en français.
 

Que peut-on vous souhaiter à présent ?

(Rires) De perdre du poids ! (ndlr : dit-il en mangeant un plat assez riche). Je prépare mon prochain tournage, et le réalisateur Denis Villeneuve m’a dit : « Javier, ton personnage s’appelle Stilgar, c'est le leader de la tribu qui survit sur la planète Dune, ton corps doit être proche du désert. » Je le dis souvent : acteur, c’est un métier un peu fou ! Tout le monde est confronté à l'angoisse, aux attentes d’un coup de téléphone pour te proposer un rôle… Je suis heureux car je suis arrivé au cinéma un peu par chance, car ma famille baignait dans le 7e art. Je parviens à surmonter mes peurs, pour donner quelque chose à un public. Je dis merci à la vie.
 

*Je dis merci à la vie

Le festival en bref

Créé en 1991, le Festival du cinéma espagnol de Nantes a su conquérir le cœur des amoureux de cinéma et de culture hispanique grâce à une proposition toujours très éclectique. Lors de cette 29e édition (28 mars - 7 avril 2019), le public peut découvrir 70 longs et courts métrages avec plusieurs cycles thématiques venant hiérarchiser un éventail de documentaires, fictions ou films d'animation. La Région des Pays de la Loire a apporté un soutien de 36 000 € au festival, au titre de ses aides aux manifestations cinématographiques régionales.